Le 6 mars 2003, à l'Hôtel de ville de Saint-Ouen, Jacqueline Rouillon pour Saint-Ouen et Bertrand Delanoë pour Paris ont signé, au cours d'une cérémonie non publique, un protocole de coopération.
Les deux villes sont de gauche. Elles se parlent, elles sont voisines sur 2 300 mètres, un espace "interface" comme le dit le texte. En 9 pages et 14 articles, un peu abscons, les deux villes expliquent qu'elles veulent échanger "en matière de déplacement, de développement économique, d'habitat, de sécurité, d'environnement, de culture" "pour le bien-être des populations, le devenir des territoires".
L'emploi est très peu abordé. Seul un ambitieux et mystérieux plan de formation décennal est évoqué.
On parle plus de sécurité et de coopération des polices.
La drogue et la prostitution sont amalgamées et présentées comme des nuisances. Pourquoi ne pas prendre contact avec les populations concernées ?
Un oubli, le traitement et la réduction de nos déchets, plus de 200 000 habitants sont concernés par cette coopération. A quand une enquête de santé sur les populations environnantes de l'incinérateur de Saint-Ouen ?
Environnement et nature. Le texte recense les nouveaux espaces à conquérir. Par exemple l'article 1er : "Requalification des espaces mineurs et délaissés (dessous du périphériqueŠ)." Les talus de verdure bordant le périphérique, rue Jean Henri Fabre dans le marché aux puces, doivent disparaître pour faire place à des boxes de commerçants en dur, supprimant là le peu de nature du quartier et l'activité des commerçants non sédentaires.
Mais la nature est à l'honneur à l'article 3 avec un constat réaliste : "Ce territoire urbain très dense ne possède pas de grands espaces de détente et de promenade." Pour y remédier, trois projets sont annoncés :
- A Paris, un parc aux Batignolles dans le XVIIe.
- A Saint-Ouen, un parc incluant le parc du château déjà existant avec une extension sur les Docks (s'agirait-il des jardins ouvriers et des équipements sportifs de l'Alstom ?), et un terrain appartenant à la ville de Paris.
- Un troisième projet : "La requalification de l'ensemble sportif de l'Ile des Vannes."
A Saint-Ouen, il ne s'agira pas d'un espace vert, d'un vrai paysage, d'un espace libre mais d'espaces aménagés, sportifs, pour la plupart déjà existants et insuffisants. Le projet municipal de 1,3 hectare de jardin sur la ZAC Victor Hugo n'est pas cité ici. Il est vrai qu'il s'agit plus d'un square d'agrément pour les bureaux. Victor Hugo n'est cité qu'une fois, pour son '"essor économique", pas pour la nature.
Les transports. Le "boulevard urbain dit de Clichy" est toujours à l'ordre du jour, rappelons qu'il doit permettre au flux de voitures de sortir de l'A15 à Gennevilliers pour rejoindre le XVIIe arrondissement à Paris. Mais on nous promet avec bonté des "circuits doux". La Seine est célébrée "valorisation du fleuve et projets urbains de détente", à ce sujet il est écrit que "l'accès à la Seine sera facilité par la voirie depuis la porte Pouchet, qui privilégiera les liaisons douces et les transports en commun". Quel doux privilège, alors que nous savons qu'il s'agit du fameux boulevard ubain de 2X2 voies entre le pont de Gennevilliers et le boulevard Victor hugo dont on ne veut pas.
Le périphérique, seul véritable "interface" entre Paris et Saint-Ouen n'est pas nommé. Rien n'est dit sur le débit de voitures, sa pollution sonore et aérienne. Certes, derrière des doubles vitrages au soleil couchant, c'est pas mal. Mais comment établir des passerelles ? Aucune alternative à cette voirie aberrante n'est abordée dans le protocole, décidemment très protocolaire. Seuls les cheminots proposent la réouverture de la petite ceinture aux trains voyageurs et marchandises.
Voilà qui nous concerne. Le projet tramway de la mairie de Paris à la place des bus PC des Maréchaux est passé sous silence. C'est absurde ! L'engorgement des routes et des transports est à l'étude : "Doublement de la ligne 13, prolongation ligne 4 jusqu'à Pleyel, amélioration du RER C" sont annoncés. On apprend que Saint-Ouen est un "axe radiant", pour le commerce et les activités notamment.
L'image de la ville, c'est "Saint-Ouen et son habitat dégradé", quelques lueurs pour le rayonnement culturel de Mains d'‘uvres et la manne touristique des puces ("grand pôle touristique régional" avec le Stade de France) ainsi que, rare point positif évoqué, ses trois centres de santé "très fréquentés par habitants et touristes". Mais d'une façon générale, Saint-Ouen est une pauvre ville qui doit refaire son image (notamment ses portes) pour ne pas faire tache à côté de Paris la ville Lumière.
Logement. Quand on parle de "résorbion de l'habitat insalubre", on ne dit pas ce que deviendront les populations de passage dans ces logements. "L'important flux de populations précaires" est prié d'aller se faire pendre ailleurs. Aucun interstice n'est laissé de côté, tout doit être aménagé. Et les gens du voyage ? A Saint-Ouen, un terrain d'acceuil est prévu à côté de l'incinérateur d'ordures, et à Paris ?
Démocratie. La consultation de la population est présentée, dès le préambule, comme un principe : "Favoriser la démocratie locale." L'aricle 11 recommande de consulter et d'impliquer les associations. C'est mal parti, aucun débat public n'a eu lieu pour l'élaboration de ce protocole. Notre association n'était pas conviée à la signature, on espère néanmoins que le champagne était excellent. Un petit exemple de ce qui est fait sans écoute préalable : Passage Lacour à Saint-Ouen, pour réaliser un mail, l'aménageur Sidec a cru bon de réduire (violemment) une butte de terrt. Résultat, avant on voyait la Seine et la colline d'Argenteuil, le regard s'arrête aujourd'hui sur les immeubles de bureaux. Il a bousillé le paysage.
Mais comme l'écrit le philosophe italien et militant du paysage Rosario Assunto : "Prendre conscience d'un bien que nous avons perdu, ou que nous sommes en train de perdre, est déjà un premier pas sur la voie de la reconquête." (Il paesaggio e l'estetica - 1994)
Soyons attentifs aux prochaines échéances annoncées par les aménageurs de territoires : 1) le nouveau plan Etat Région est à l'étude, y sera inscrit ou pas le boulevard urbain. 2) le nouveau Shéma directeur de l'aménagement urbain de la région Ile-de-France est prévu pour 2004.
Daniel Maunoury
PS : Le 3 juillet 2002, dans la plus totale absence d'information et de concertation, le préfet Jean Arribaud et le maire de Saint-Ouen Jacqueline Rouillon ont signé une "Convention d'équilibre habitat-activités pour 2002 - 2006". Elle prévoit 124 000 m2 de logements (lesquels ?) et 92 000 m2 de bureaux. Mais pour tenir l'équilibre, il faut aussi de la tere et là, rien n'est prévu. Et puisqu'on parle de développement durable, rappelons qu'"il est fondé sur un usage équitable et respectueux des ecosystèmes."
Ô lys tigré, dit Alice en s'adressant à un lys qui se balançait avec grâce au souffle du vent, comme je voudrais que vous puissiez parler !
Nous pouvons fort bien parler, répondit le lys tigré, quand nous avons un interlocuteur valable.
Lewis CARROLL De l'autre côté du mirroir Extraits de Littérature, coté jardins, ARGENTEUIL 1994 par Georges GOTLIEB